L’insécurité alimentaire atteint un niveau critique dans de nombreuses communautés nordiques – un fait exacerbé par les effets néfastes des changements climatiques.
Dans les régions nordiques les plus éloignées du Canada, où l’insécurité alimentaire est disproportionnellement plus élevée qu’ailleurs au pays, les résidents sont depuis longtemps aux prises avec un manque de possibilités d’emploi, et des options de revenu limitées mis à part l’aide sociale, et des niveaux de faible revenu.
Selon les résultats les plus récents de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2017 à 2018, les taux d’insécurité alimentaire dans les territoires sont considérablement plus élevés que la moyenne nationale : 16,9 % au Yukon, 21,7 % dans les Territoires du Nord-Ouest et 57 % au Nunavut, comparativement à 12,7 % pour l’ensemble du pays au cours de la même période.
Les banques alimentaires des régions nordiques qui ont participé au Bilan-Faim 2022, le sondage de référence transversal de Banques alimentaires Canada qui consigne le recours aux banques alimentaires au Canada, ont mentionné que l’inflation galopante du prix de l’essence contribue à l’augmentation record du coût des aliments dans les épiceries locales, qui était déjà beaucoup plus élevé que dans les grandes villes.
En l’absence d’une volonté accrue de la part des gouvernements de s’attaquer aux niveaux élevés d’insécurité alimentaire dans le Nord canadien, cette situation déjà désastreuse s’aggravera vraisemblablement en raison des répercussions négatives des changements climatiques. En effet, ceux-ci limiteront notamment l’accès des peuples autochtones aux aliments traditionnels en raison de la modification des tendances migratoires et de l’emplacement des animaux qu’ils chassent, pêchent et piègent habituellement, ainsi qu’aux routes d’hiver utilisées pour livrer les aliments commerciaux achetés en magasin aux communautés dans le besoin.
Comme le transport par avion coûte extrêmement cher, ces routes sont le principal accès terrestre et sont essentielles au transport de nourriture et d’autres fournitures essentielles pour de nombreuses communautés du Nord. Leur accès à la nourriture et aux autres ressources est toutefois en danger en raison du réchauffement climatique.
SOULAGER LA FAIM LE LONG DES ROUTES DE GLACE
Dans le contexte du recours croissant aux services de banques alimentaires dans les communautés éloignées et nordiques, Jason Stevens, agent du Programme du Nord de Banques alimentaires Canada, a mis en place en février 2022 avec Harvest Manitoba et la Regional Food Distribution Association de Thunder Bay une mission visant à améliorer la sécurité alimentaire dans le Nord.
Le groupe a parcouru plus de 3 000 kilomètres le long du sentier Wapusk – une route de glace saisonnière qui est accessible aux véhicules au plus six semaines par année – pour livrer 4 000 livres de nourriture aux deux Premières Nations éloignées de Shamattawa, dans le nord du Manitoba, et à Fort Severn, la communauté la plus au nord de l’Ontario.
VISIONNER : Routes d’hiver
Au retour du voyage, Stevens, qui est originaire de la Nation crie de Sapotaweyak dans le territoire visé par le Traité no 4, a confirmé que l’accès à des aliments sains et nutritifs dans les communautés nordiques est de plus en plus limité à mesure que les saisons changent du fait des changements climatiques.
« Bon nombre de nos communautés du Nord ont un accès limité ou inexistant aux routes. Certaines ont mis au point des systèmes de routes de glace qui permettent pendant une courte période de transporter les marchandises et d’autres articles dont le coût du fret aérien serait plus élevé que celui des marchandises elles-mêmes », précise Stevens.
« En ce moment, nos communautés travaillent contre la montre pour que des aliments nutritifs et de qualité soient livrés en grande quantité et pour que certaines variétés d’aliments sains dont le coût augmente quotidiennement soient expédiées le plus rapidement possible. »
COURSE CONTRE LA MONTRE : LES COMMUNAUTÉS NORDIQUES RISQUENT DE VOIR LEUR ACCÈS AUX ALIMENTS RÉDUIT EN RAISON DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Afin de démontrer le risque dû à la réduction de l’accessibilité des routes d’hiver auquel font face les communautés nordiques, Banques alimentaires Canada a commandé une nouvelle carte fondée sur une méthodologie recommandée au Conseil national de recherches Canada qui utilise une cote de risque pour classer les routes d’hiver en fonction de leur accessibilité.
Bien que de nombreuses régions du Nord soient déjà confrontées à des défis récurrents en matière de transport causés par la variation des conditions climatiques, cette nouvelle carte montre que certaines collectivités courent un risque particulièrement élevé de réduction de l’accès aux aliments au cours des 30 prochaines années en raison des répercussions potentielles du réchauffement climatique.
Les Premières Nations éloignées de Shamattawa et de Fort Severn qui ont reçu la visite de Stevens au cours de l’hiver 2022, par exemple, ont toutes deux obtenu une cote de risque « moyenne » sur la carte. Sur le terrain, Stevens a indiqué que ces régions progressent rapidement vers des cotes de risque plus élevées, car les changements climatiques continuent de limiter l’accès aux routes de glace dans les communautés éloignées et isolées.
« Pour certaines régions, la fenêtre pour transporter de la nourriture, des marchandises et des fournitures via les routes de glace est déjà passée de six à trois semaines », indique Stevens. « Lors de notre passage, les routes de glace menant à Shamattawa et à Fort Severn n’étaient accessibles que pendant cinq semaines; nous étions là pendant la quatrième semaine. »
En fonction de facteurs comme le nombre de jours de gel, la longueur des routes d’hiver et les traversées de cours d’eau, les cotes de risque sont encore plus élevées dans d’autres collectivités, comme Wha Tì, Gamèti et Wekweeti dans les Territoires du Nord-Ouest, où l’incertitude de l’accès aux aliments est jugée « moyenne à élevée » en raison du manque de disponibilité des routes toute l’année.
ÉTABLIR DES RELATIONS AVEC LES COMMUNAUTÉS NORDIQUES
Lors d’une visite à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, en décembre 2022, visant à établir des relations dans la communauté, c’est autour d’un bol de « soupe Inuvik » que Stevens a pu en apprendre davantage sur les importants défis en matière de sécurité alimentaire auxquels font face les résidents du Nord.
Servie par Zoila Castillo, championne des banques alimentaires locales, la soupe ne contenait que du bouillon, « ce qui signifie qu’il est trop coûteux d’ajouter de la viande ou du poisson », indique Stevens.
« C’est ce qu’ils appellent le “spécial Inuvik”, et c’était un honneur de faire partie de la famille de Zoila pour cette journée et de faire l’expérience des défis qu’ils doivent relever en matière de sécurité alimentaire au quotidien », ajoute Stevens.
Stevens a également visité la communauté nordique de Whitehorse, au Yukon, en novembre 2022, et les communautés d’Inuvialuit, dans les Territoires du Nord-Ouest et de Kinngait, au Nunavut, en décembre 2022, où les résidents ont fait part des difficultés constantes que représentent les services limités d’épicerie, ainsi que de la faible fréquentation scolaire qu’entraînent la faim et l’insécurité alimentaire.
« Le message qu’ils veulent passer, c’est que l’on doit les écouter », conclut Stevens.