Article originalement publié en anglais sur le site Web de la SRC, le 9 février 2021
L’auteur de cette chronique d’opinion est Richard Matern, directeur, Recherche à Banques alimentaires Canada. Dans le passé, il a notamment dirigé des projets de recherche communautaires à grande échelle qui ont servi de base pour le processus d’examen de la sécurité du revenu en Ontario.
La COVID-19 a révélé de façon saisissante comment les inégalités nuisent à la santé. Si nous voulons sérieusement lutter contre cette pandémie et bâtir une société en santé et résistante aux virus pendant la reprise, cela ne peut pas se faire sans aborder la question de la pauvreté et les déterminants sociaux de la santé qui y sont associés.
Dans un récent rapport de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), Du risque à la résilience : Une approche axée sur l’équité concernant la COVID-19, la Dre Theresa Tam reconnaît que la pandémie a eu des répercussions disproportionnées sur certaines populations, notamment les personnes âgées, les communautés racialisées, les personnes en situation de handicap et les femmes. Cette situation est attribuable aux iniquités dans des domaines comme le revenu et le logement, l’emploi et l’accès aux soins de santé.
Il existe une forte corrélation entre les difficultés rencontrées par les personnes à faible revenu et le haut risque de transmission de la COVID-19.
Ces difficultés incluent le fait de vivre dans un logement inadéquat et surpeuplé, les disparités dans l’accès aux soins de santé et le simple fait de ne pas pouvoir se permettre les dépenses supplémentaires associées à une meilleure hygiène. Il est extrêmement difficile de se payer du savon pour se laver fréquemment les mains, sans parler de l’équipement de protection individuel (ÉPI), lorsque la majeure partie de vos revenus sert à payer le loyer.
Le rapport de l’ASPC insiste sur le fait que nous devons prendre sérieusement en compte ces déterminants sociaux de la santé pour lutter contre la pandémie. Pour ce faire, nous devons mettre en œuvre des politiques publiques qui s’attaquent aux inégalités qui touchent de manière disproportionnée les populations marginalisées.
L’insécurité alimentaire, par exemple, est un des principaux symptômes de ces inégalités, ce que d’ailleurs les responsables des banques alimentaires ont toujours su. Une personne vit une situation d’insécurité alimentaire lorsque faute de moyens financiers elle ne peut pas acheter suffisamment de nourriture, doit manger des aliments de moins bonne qualité ou se voit sans l’obligation de sauter des repas.
C’est l’insécurité alimentaire qui pousse les gens à recourir à une banque alimentaire dans leur communauté. Même avant la pandémie, nous devions déjà composer avec plus d’un million de visites par mois dans les banques alimentaires du Canada. Au début de la pandémie en mars, avant que les mesures gouvernementales de soutien du revenu ne soient mises en place, la majorité des banques alimentaires ont vu leurs besoins augmenter et, dans certains cas, doubler par rapport à l’année précédente.
Toutefois, les conséquences de l’insécurité alimentaire vont au-delà du simple fait d’être un marqueur d’un niveau de vie sous le seuil de la pauvreté.
Quelles sont les populations les plus susceptibles de vivre une situation d’insécurité alimentaire? Il s’agit des personnes à faibles revenus, des familles monoparentales dirigées par une femme, des personnes qui sont locataires plutôt que propriétaires et des personnes noires ou autochtones.
Par exemple, les banques alimentaires situées dans des centres urbains de 100 000 habitants ou plus étaient plus susceptibles de signaler une augmentation de la fréquentation des clients tout au long de la pandémie, principalement en raison des pertes d’emploi associées à la COVID-19 et de la hausse du coût de la vie dans les villes. Les données du recensement montrent que les communautés de minorités visibles se concentrent davantage dans les centres urbains et qu’elles sont surreprésentées dans les quartiers à faibles revenus.
Les rapports de Statistique Canada confirment que les populations racialisées ont été plus durement touchées financièrement pendant la crise, et sont aussi plus susceptibles d’occuper des emplois à bas salaire et à haut risque.
En outre, l’insécurité alimentaire a de profondes répercussions sur la santé des ménages, mais aussi de la société dans son ensemble. Les personnes qui vivent une situation d’insécurité alimentaire sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé physique et mentale, et ont besoin d’un soutien accru de la part du système de soins de santé.
Pour les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer des repas convenables, la pandémie n’a fait qu’exacerber leur vulnérabilité aux problèmes de santé.
Les solutions pour lutter contre l’insécurité alimentaire, ainsi que contre les inégalités en matière de logement, d’emploi et de santé, doivent prendre en compte l’analyse des causes profondes de ces problèmes interdépendants.
Le rapport Les banques alimentaires face à la crise de la COVID-19 – Un aperçu national propose des recommandations en matière de politiques pour réduire la pauvreté et, par conséquent, s’attaquer aux enjeux qui y sont associés, notamment l’insécurité alimentaire et le recours aux banques alimentaires.
Voici les principales recommandations :
- Établir un seuil de revenu minimum;
- Adopter de nouvelles mesures de soutien pour les locataires à faible revenu;
- Offrir des services abordables d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pour tous.
Ces recommandations s’apparentent à celles formulées dans le rapport de l’Agence de la santé publique en tant que moyens de parvenir à l’équité en matière de santé, en s’attaquant aux déterminants sociaux de la santé qui sont à la base d’une société saine.
Par exemple, l’établissement d’un seuil de revenu minimum pourrait inclure la transformation du programme d’assurance-emploi temporaire en programme permanent. Cela permettrait de remédier aux conséquences du travail précaire sur la santé et l’économie, tout en contribuant à éviter que de nombreuses personnes ne sombrent dans la pauvreté dans les prochaines années sans doute difficiles de reprise.
Un programme national de soutien au loyer pour les locataires à faible revenu, dans le cadre d’une stratégie plus large de logement à loyer modique, pourrait réduire le nombre de sans-abri et le surpeuplement du système de logement, de même que l’insécurité alimentaire et le recours aux banques alimentaires.
L’accélération de l’engagement du gouvernement fédéral en faveur d’un système national d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pourrait remédier aux conséquences disproportionnées de la COVID-19 sur les femmes sur le marché du travail, tout en permettant aux parents qui se trouvent dans des secteurs fortement touchés par la COVID-19 de parfaire leur éducation et leurs compétences.
Bien que les recommandations formulées puissent sembler plus ambitieuses que réalistes, même à long terme, les mesures temporaires prises pour soutenir les personnes pendant les premières phases de la crise de la COVID-19 montrent qu’en effet, ces aspirations sont réalisables.
Après une augmentation des besoins en mars, par exemple, l’instauration de la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qui a permis de verser rapidement et efficacement 2 000 dollars par mois aux ménages admissibles, a eu la plus grande incidence sur l’aplanissement de la courbe de fréquentation des banques alimentaires à l’échelle nationale, selon le rapport sur les banques alimentaires. Lorsque les gens disposent de revenus suffisants, ils sont en mesure de mieux se nourrir, ce qui entraîne une amélioration de la santé et du bien-être, une diminution de la pression sur les systèmes de soutien public et un soulagement de toute une série de problèmes sociaux graves.
Si la volonté politique est présente pour mettre sur pied un programme de revenu efficace, nous pouvons aussi créer un meilleur système à long terme qui répond à la vision exposée dans le rapport de la Dre Tam.
S’il subsistait le moindre doute, la pandémie a très bien démontré que ce n’est que lorsque l’ensemble de la société est protégé que chacun est à l’abri.