5 choses à savoir concernant le recours à un indice de privation matérielle (IPM) pour mesurer la pauvreté

Le taux de pauvreté officiel du Canada, évalué au moyen de la mesure établie du panier de consommation (MPC), représente actuellement près de 10 % de la population, un taux légèrement inférieur à celui d’avant la pandémie en 2019.

Mais y a-t-il réellement moins de pauvreté aujourd’hui qu’en 2019? Compte tenu de l’augmentation de près de 80 % du recours aux banques alimentaires entre 2019 à 2023 et d’une augmentation record de 32 % par rapport à l’an dernier seulement, le taux de pauvreté officiel actuel au Canada ne semble pas donner un portrait exhaustif de la situation.

Une autre méthode de mesure de la pauvreté est appelée indice de privation matérielle (IPM). Cette méthode est utilisée en Europe depuis des décennies en complément des mesures de la pauvreté fondées sur le revenu (comme la MPC) et recense le nombre de ménages qui ne peuvent pas se permettre certains items ou certaines activités que la plupart de la population considérerait comme essentiels à un niveau de vie décent. Il peut s’agir, par exemple, d’avoir des vêtements appropriés à porter lors d’une entrevue d’embauche, d’aller chez le dentiste pour un examen annuel ou d’acheter un petit cadeau d’anniversaire à un enfant.

« 25 % des Canadiens ont probablement un niveau de vie sous le seuil de la pauvreté sur la base d’un seuil de privation matérielle fondé sur deux items ou plus. »

  • Rapport de Banques alimentaires Canada

Notre nouvelle étude décrit ce que pourrait être un IPM élaboré pour le Canada. L’étude montre que 25 % des Canadiens vivent au seuil de la pauvreté selon notre IPM.

La proportion est beaucoup plus élevée chez les chefs de famille monoparentale, les personnes en situation de handicap et les personnes qui s’identifient comme noires ou autochtones. Cette constatation correspond davantage à la réalité que les banques alimentaires de notre réseau constatent actuellement.

Voici cinq principaux points à retenir de l’étude qui illustrent de quelle manière un IPM peut compléter les mesures existantes de la pauvreté fondées sur le revenu et la raison pour laquelle le Canada devrait intégrer un IPM à son corpus d’indicateurs pour évaluer les niveaux de pauvreté au Canada.

L’évaluation de la pauvreté ne se limite pas au revenu.

Nous avons constaté qu’en 2023, un Canadien sur quatre âgé de 18 ans et plus ne pouvait se permettre deux items ou plus que la plupart de la population considérerait comme essentiels à un niveau de vie décent, et que 6 millions de ces Canadiens en situation de privation matérielle avaient un revenu supérieur au seuil de pauvreté.

Ce décalage s’explique par le fait que les mesures officielles de la pauvreté fondées sur le revenu au Canada ne peuvent pas tenir compte de la grande diversité des besoins et des situations de la population canadienne.

Par exemple, en raison d’un déménagement récent, la location de l’appartement d’une famille peut coûter des centaines de dollars de plus que celui de ses voisins. Ou encore, une famille dépense de sa poche pour une médication régulière, alors qu’une autre famille disposant du même revenu et d’un emploi assorti de prestations de santé de l’employeur se voit rembourser la majeure partie des frais.

Ces facteurs, ainsi qu’une myriade d’autres besoins et circonstances particulières, expliquent pourquoi les mesures établies de la pauvreté fondée sur le revenu manquent souvent leur cible.

Un IPM reflète la perception du public de la pauvreté.

L’IPM prend en compte les biens, les services et les activités que la majorité de la population estime nécessaires pour avoir un niveau de vie acceptable. Notre étude a permis de déterminer quels items devraient figurer sur cette liste en demandant aux Canadiens lesquels ils estimaient nécessaires en vue d’avoir un niveau de vie acceptable au Canada. Notre étude est également allée plus loin et a priorisé les items les plus susceptibles d’être considérés comme nécessaires par les personnes plus à risque de vivre dans la pauvreté (comme celles qui souffrent d’insécurité alimentaire).

Un IPM peut fournir des renseignements opportuns sur les conditions qui ont une incidence sur le niveau de vie des Canadiens.

Un IPM complémente la MPC en apportant de l’information sur les conditions actuelles, puisque la MPC accusera toujours un retard de quelques années en raison du temps qu’il faut pour assurer l’exactitude des données sur le revenu. Cet avantage de l’IPM serait particulièrement important dans cette période où la conjoncture économique évolue rapidement et où il est nécessaire de réagir vite, comme au plus fort de la récente pandémie et de la flambée de l’inflation qui a suivi, ou dans un contexte de hausse importante des taux d’intérêt.

Un IPM serait un outil utile non seulement pour comprendre la nature de la pauvreté au Canada, mais aussi pour concevoir de meilleurs programmes de lutte contre la pauvreté.

Notre recherche suggère qu’un simple paiement de revenu ajusté en fonction de quelques facteurs comme la taille et l’âge de la famille ne permettra pas de lutter efficacement contre la pauvreté. Nous devons plutôt comprendre et aborder les facteurs, au-delà du revenu, qui déterminent l’expérience des ménages. En outre, l’IPM nous a permis de constater que la majorité des personnes vivant dans la pauvreté travaillent ou cherchent du travail, de sorte que s’attaquer à la pauvreté uniquement au moyen de programmes destinés aux personnes qui ne font pas partie de la population active ne permettra pas d’atteindre la plupart des personnes qui ont besoin d’un soutien supplémentaire.

Un IPM capte les effets des politiques qui réduisent le besoin de dépenser.

Lorsque le gouvernement augmente les prestations pour enfants, un IPM et des mesures de la pauvreté fondées sur le revenu comme la MPC démontrent une baisse de la pauvreté. Toutefois, lorsque le système public subventionne des biens, des services et des activités qui permettent aux ménages de réaliser des économies, les mesures de la pauvreté fondée sur le revenu ne tiennent souvent pas compte de ces effets parce qu’ils n’augmentent pas le revenu d’un ménage. En revanche, un IPM favorise la réduction de la pauvreté en raison de la baisse du coût de la vie, comme le logement subventionné, les services de garde d’enfants, l’assurance-médicaments et le transport en commun.

RECOMMANDATIONS

À la lumière de cette étude, nous recommandons que le gouvernement fédéral confie à Statistique Canada l’élaboration et le maintien d’un indice de privation matérielle (IPM), parallèlement aux mesures existantes de la pauvreté fondées sur le revenu. Nous recommandons par ailleurs aux différents gouvernements canadiens de recourir à un tel indice comme mesure complémentaire de la pauvreté visant à évaluer leurs progrès respectifs en matière de réduction de la pauvreté et à analyser l’incidence de leurs efforts en matière de réduction de la pauvreté. Cette démarche est d’autant plus importante que les indices de pauvreté fondés sur le revenu ne tiennent souvent pas compte des effets qui réduisent les dépenses courantes.

Combinés, ces deux types d’indicateurs guideraient nos efforts en vue de permettre à l’ensemble de la population canadienne de jouir d’une sécurité alimentaire et d’un niveau de vie acceptable dans un pays développé.

Richard Matern est directeur, Recherche pour Banques alimentaires Canada, Michael Mendelson est membre associé de la Maytree Foundation et ancien sous-ministre de l’Ontario et du Manitoba, et Geranda Notten est professeure en politiques publiques comparatives à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.